
Publié le 31 octobre 2022
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Nous avons déjà eu l’occasion de présenter ici deux romans de Patrice Jean, tour d’ivoire Et La poursuite de l’idéalOù il était surtout avec nous pour mettre en place les manquements et les excès de notre temps.
Dans son dernier roman, Réhabilitation nationaleIl n’hésite pas à pousser le récit dans l’excentrique et la caricature, pour le plus grand plaisir des lecteurs.
Idéalisme et conformisme
Patrice Jean n’a eu aucun mal, on l’imagine, à s’inspirer de ce qu’il a dû savoir et observer dans son expérience de professeur de lycée. Il est clair qu’il a peut-être ressenti le besoin d’augmenter le trait de la comédie qui se joue dans certains cercles d’apprentissage et les petits défauts typiques qu’on peut y trouver.
Dès les premières pages, un véritable concentré d’ironie attend le lecteur, qui se retrouve dans le vocabulaire, les descriptions de situations, les analogies, le portrait absurde du personnage principal. Le ton est donné.
Bruno Giboire est un jeune idéaliste, mais pas du tout comme le personnage de La poursuite de l’idéal, ici tout à fait sincère ou tout à fait profondément naïf. Il se prépare à participer à l’éducation nationale qui, en l’absence d’enseignants, prend un décret qui permet aux personnes désireuses d’apprendre, comme c’est son cas, d’avoir la possibilité de s’établir en passant un simple hift-concours.
On s’attend à ce que le personnage déchante vite, comme c’est le cas pour beaucoup qui se font avoir sur ce qu’est devenue l’Éducation nationale et ce qu’il faut aujourd’hui enseigner à un public et des méthodes qui ont changé… mais pas vraiment. Si notre personnage réserve quelques surprises, il garde néanmoins foi en son idéal et sa motivation pour tenter d’éveiller la lumière de la raison et de la passion dans les yeux de ses chers élèves (ce qui est non seulement parfaitement louable en soi, mais certainement souhaitable, voire si loin d’être évident).
En fait, ce qui se révèle très vite, c’est le degré de conformité dont fait preuve Bruno, qui s’efforce tant bien que mal de se fondre dans le moule de l’esprit qui règne dans la salle des professeurs et d’appartenir à une communauté dont il est si heureux de recevoir Closer , qu’il n’en voit pas tout de suite les dangers, les désillusions, les contradictions, voire le caractère souvent un peu enfantin. Il n’est pas le seul à avoir des idéaux. Mais lorsque cet idéal s’exprime dans l’idéologie, et se confond avec l’idéalisme, la pureté et la sincérité des sentiments véhiculés peuvent bien se déformer sous la forme d’une profonde désolation.
Il aimait le travail d’équipe, comme dans une vie antérieure, il a grandi dans une ferme collective. Pense Seulement, l’a rendu triste; Et puis, dans la solitude, il pensait peu ou rien. Bruno était l’homme des groupes, des clans, des familles, des tribus : un homme socialUn homme que les existentialistes définiraient comme pour les autres. Un homme Équipe. Un homme Fourmi. Les autres hommes social, à son image, a promu la passion du rassemblement, de l’union et même. Chacun aurait aimé n’exister que par les autres et pour les autres. Et surtout n’être rien tout seul. Le manque d’appétit pour le collectif, à leurs yeux-murs, était caché par une désolation de la chose humaine. Une trahison. Une collaboration sans rien.
Outrages courants
A cause du conformisme il est question, mais aussi des comportements mimétiques traditionnels, caractéristiques de la plupart des communautés. et “Common Rage”, l’un des thèmes favoris de Patrice Jean. Qui nous entraînera dans une situation absolument misérable, à travers laquelle il nous entraînera dans la seconde partie du roman vers les sommets de l’absurde, lors d’aventures qui frôlent le grotesque, tant elles sont étranges et pathétiques (on peut dire que l’auteur s’amuse et a l’intention d’emmener le lecteur avec lui, espérant le faire rire).
A partir de ce moment, le personnage principal Bruno Giboire va connaître des hauts et des bas, des moments de doute et de dépression, alternant avec d’autres moments où il se remet, éveillant en lui par la même occasion un début de réflexion.
Et si personne n’est capable de rendre compte de ses propres pensées ? Cette pensée lui faisait peur. Nous avons peu à peu trouvé une vision des choses que nous croyions être les nôtres, tandis que nous imaginions des idées qui flottaient, dans notre classe sociale, à notre époque, entre amis. , famille, par le biais d’émissions de radio ou de télévision. Pierre Renoir, citant Spinoza, aimait traiter des ” corvées-keins “, ces connaissances que l’on reçoit au berceau, puis qu’on vous donne tout au long de votre vie, et que vous tenez pour acquises. « On pense pouvoir s’en débarrasser, dans le meilleur des cas, pendant la jeunesse, en étudiant les philosophes ou les sciences positives, mais les plus claires n’échappent pas au reproche du mécanisme inconscient de la pensée ! , personne ne pense vraiment par lui-même. […] La découverte a déprimé Bruno. Le doute l’empêcherait davantage d’adhérer pleinement à ce qu’il disait, à ce qu’il croyait, à ce qu’il pensait. Il était en partie sauvé pour les choses de l’âme, et perdu pour tout le reste.
Oh, dis à Eila. L’image est parfaite. Notre personnage plein d’illusions et de naïveté découvre, apprend, subit des déceptions et évolue petit à petit, au beau milieu de personnages hauts en couleurs. Lui qui manie si bien le jargon, dont l’éducation nationale a le secret (qui révèle, habilement et aussi innocemment dans le fil du roman, son caractère plutôt nocif et ridicule), il sera au premier plan pour participer à Toutes les manies. de l’instant. Car comme dans ses autres romans, Patrice Jean ne manque pas d’introduire par petites touches de petites pointes pour aborder non seulement les fantasmes révolutionnaires, mais aussi Wokistes de notre temps.
C’est alors que Colette a eu l’idée de renommer l’expression “vacances d’avril” en “quatrième vacances scolaires”, avec la justification que la référence au mois d’avril célébrait un temps religieux de l’humanité : nous avions la peau du ” Fêtes de Pâques”, il ne devait pas être soumis à Aphrodite, la déesse athénienne à qui Avril doit son nom ! […] Dans sa rigueur anti-religieuse, Colette aurait aimé que la langue française elle-même procède à un examen de conscience et se débarrasse de son héritage latin, lié par les crimes de l’Inquisition. […] La dispute n’est plus : la sauce n’a pas de nom. Colette, désespérée, abandonna son combat. Pourtant elle y croyait, elle se voyait au milieu d’une lutte pour le progrès ; Son nom restera comme celui d’une femme dévouée et courageuse, prête à affronter les difficultés idéologiques de son temps. Il ne lui restait plus qu’à se plaindre de la bonne façon de penser et de la lente dérive du pays vers les marécages du conservatisme.
Le juste
Sans trop dévoiler l’histoire, et en espérant avoir suscité suffisamment d’intérêt pour donner envie de lire le livre, on y retrouve tous les stéréotypes de la pensée et les dérives totalitaires (mais non conscientes) de la saine pensée. Sous la plume pleine de talent et d’espièglerie de Patrice Jean, qui saura vous faire sourire plus d’une fois.
On appréciera la référence littéraire, tantôt sous forme de stéréotypes volontaires, tantôt en retrait, n’ayant pas besoin d’être avancée ni même citée pour qu’on en perçoive toute la portée symbolique. Tout comme ce soulèvement des justes, dans lequel certains des professeurs du professeur semblent être inondés.
Si Patrice Jean n’épargne personne, et conserve sa liberté de pensée, je ne lui en veux pas d’avoir probablement mal compris – même s’il est plutôt moins virulent que la moyenne à son égard, seulement ironique à sa manière – ce qu’est ou n’est pas le libéralisme. Il n’en fait qu’une toute petite caricature (bas de la page 113), assimilant un professeur autrement que libéral à l’allure d’un jeune loup dynamique adepte de la performance et à une startup qui aime s’occuper des technologies anglo-saxonnes, notions et vocabulaire. Pas très méchant et drôle quand même.
Au final, c’est un roman plein d’humour, de légèreté et de furtivité, au rythme vif mais assez court (144 pages). Sans doute pas le meilleur de Patrice Jean, mais bon tout de même, car bien dans le ton de l’auteur et les idées qui lui sont chères, même si ici le choix de la satire sous forme de délire joyeux la rend un peu moins profonde. que le précédent.
On commence aussi à se demander, à peine la lecture terminée, quel nouveau plat il va nous servir pour son prochain roman, que l’on attend déjà avec curiosité.
Patrick Jean, Réhabilitation nationale, Rue Fromentin, septembre 2022, 144 pages.