
“Le visage de ton ange est resté figé, sur une photo très datée. Tu souris, tu es belle, tu es du plus bel âge. Dans l’esprit des gens, chacun des mots de Suzan sonne comme un hommage à Mohamed, qui a été tué à Lyon dans une situation encore floue, et dont le corps démembré a été retrouvé dans les canalisations d’un immeuble de Saint-Priest.Micro au poing, Marie Luttenschlager, responsable du secteur jeunesse de la MJC des Rancy, chantant les couplets de la chanson « Quel homme serais-tu ? » changerais-tu vraiment si la vie te laissait un peu de liberté ? »
Mercredi après-midi, environ 400 personnes se sont rassemblées pour participer à une marche blanche pour honorer le garçon et demander justice. Mohamed n’avait pas encore 17 ans.Depuis l’annonce du drame et de la cruauté de la vérité, sa famille “s’est assise là, respirant”, “pleurant jusqu’à en devenir aveugle”. “Il aimait la vie, il avait la vie devant lui, sa tante tombe. Je n’arrive pas à y croire. Comment il est parti…” Les morts ne reviennent jamais. Ecrasé par le chagrin, il se ressaisit pour continuer : ” Parfois, j’ai l’impression qu’il viendra frapper à ma porte. »
“Il le mérite”
Quelques mètres plus loin, le père du jeune homme peine à parler. “Je veux juste remercier tout le monde là-bas et remercier la police qui travaille sur l’enquête”, dit-il. “Cette manifestation ne le fera pas revenir, mais il le mérite”, ajoute son oncle. Le tueur n’a pas seulement tué Mohamed, il a tué toute la famille. Ce qui s’est passé restera clair à jamais dans notre chaire. Mohamed avait une bonne éducation, il était valorisé, respecté”. « Il était notre ange gardien, un peu comme son cousin. Il prenait soin de sa mère, de son père, de sa sœur. »
Le gamin avait des projets : s’entraîner en Espagne, obtenir son Buff. “Bénévole”, il n’a jamais lutté avec le travail et a passé la plupart de ses après-midi libres à la MJC des Rancy. Dès lors, lorsqu’on lui demande “quelques mots” pour décrire l’adolescente, Marie Luttenshlager répond aussitôt : “Oh, il y en a beaucoup, beaucoup.” “Il a dit qu’au lieu d’errer dans le quartier, il préférait se rendre important. Il aimait s’impliquer dans les événements que nous organisions. Il offrait toujours un coup de main au bar ou au restaurant. Quand nous manquions de personnel, il se sont portés volontaires pour remplacer les animateurs manquants », conclut la femme.
Avant que les marcheurs ne se précipitent derrière les banderoles géantes, les applaudissements redoublent. Il n’y a pas de moment de silence. “Le silence n’est pas ce qu’il représentait”, sourit Marie Luttenshlager. Mohamed aimait crier. Il aimait être le centre de l’attention. Clown, s’il vous plaît la galerie. Son “bon bienfaiteur” avait le don de faire rire. “Bien” est pourtant le mot qui revient le plus dans la bouche des participants.
« Pourquoi cette haine ? »
“Il était comme mon grand frère. Il n’a jamais eu d’histoire avec personne. Il écoutait tout le monde”, se souvient Inès, les yeux remplis de larmes. Mohamed, l’a connu dès l’âge de six ans aux pupitres de l’école et dans le “parc”. “Je ne sais pas ce que ce serait sans lui”, ajoute-t-elle, amoureusement entourée de ses amies Adela, Mélina et Mélyia. “Il m’a toujours fait rire, et surtout, il se souciait de tout le monde, même de ceux qui ne le connaissaient pas petits, par exemple… Oui, c’était un bon Mohamed”, ajoute l’un d’eux.
A la tête de la contestation, la famille du garçon. La tête haute, son père s’avance silencieusement, tenant sa fille près de lui. “Ça me fait mal”, confie Orkia, une habitante “très impliquée dans le quartier”. “Le petit était un ange, une fleur. Pourquoi? Pourquoi cette haine ? C’est tellement mauvais, comment un humain peut-il faire ça ? » La Lyonnaise avoue que « c’est difficile d’en parler » : « Je n’arrive pas à mettre de mots. »
“C’est triste pour les parents, pour les amis mais aussi pour tout le monde. Maintenant, nous avons peur de nos enfants”, raconte Nacera, qui marche avec une rose blanche à la main. “La pauvre Lola a été tuée en rentrant de l’école. Mohamed a été tué alors qu’il se rendait à son travail. Les gens sont fous. On coupe des têtes, des mains… C’est trop. On en a marre de tout ça », conclut-il avant de rejoindre la MJC. Sur le site, un autel a été construit avec des photos de Mohamed. Sur les photos, l’enfant sourit, savoure la victoire en karting, fait un V au milieu de une séance d’équitation, en se concentrant sur un atelier de cuisine ou en l’aidant “petit” à attacher sa corde. Certaines lignes de “culte” prononcées par l’enfant sont coupées. “Ça me fait mal au coeur”, murmure le garçon à son ami en plaçant la dernière rose .